ernesto riveiro

Philippe Cyroulnik, 2014
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Fragments pour un portrait inachevé
Philippe Cyroulnik, mars 2014



ernesto_riveiro 2014 . acryl sur toile (Ref.04). 200 × 200 cm.

Formes
La forme chez Ernesto Riveiro n’informe pas, au contraire, elle institue une ambiguïté, une indéfinition qui fait obstacle à la nomination. On pourrait même dire qu’au moment où elle advient, elle ne se fixe pas. Poussée par un mouvement irrépressible, elle n’est que l’ombre d’elle même, un fantôme de forme qui échappe à la saisie de notre regard.

Figure
Ici ou là s’esquisse une figure fragile, instable qui jaillit du lacis des traits mais constamment mise en péril par le dense maillage de lignes colorées qui l’enserre dans ses filets. Nous ne sommes pas dans un espace de représentation mais dans une mêlée qui se déploie sur la surface du tableau sans y creuser d’espace ni de scène. La figure n’incarne pas un personnage; elle reste à un stade pré-figuratif.


Intempestif
Il y a dans ses peintures quelque chose d’une intensité de la couleur et du geste. Et pourtant on a le sentiment d’une certaine retenue, comme si le peintre choisissait de se tenir sur une crête ténue entre incarnation et dissolution

La « geste » de la peinture
A regarder ses tableaux, on ne peut manquer de percevoir une contiguïté entre des qualités quasi antagoniques mais consubstantielles à sa peinture: entre l’opacité rugueuse d’une matière et la transparence qui la mène au bord de l’évanescence; entre le recouvrement et l’effacement, entre la ligne et son négatif. De même, la ligne joue à la fois l’arabesque et l’angulaire; comme une musique qui passerait brutalement de la mélodie à l’atonalité. Nous sommes face à ce qui serait le mouvement du trait comme pensée en acte et en déambulation. Un art qui ferait de ce va-et-vient entre forme et informe, entre paroxysme et sérénité, l’objet même de son propos; considérant à juste titre que c’est de ces temps mêlés de turbulence et de relâchement qu’un visible se constitue.

Figure /Masques
Il faut revenir sur cette question évoquée précédemment. Si je parle de masques c’est qu’en certains lieux du tableau, un ensemble de traits se constitue en forme qui ne se détache pas mais plutôt apparaît dans les mailles du tracé. Masques, parce qu’ils ont à la fois un caractère emblématique, quelque chose de tutélaire tout en n’ayant pas d’autre présence que celle de leur forme; sans renvoyer à l’humain, au végétal ou à l’animal. C’est peut être cela qui leur donne une force telle qu’ils arrêtent le regard et suscitent en nous correspondances et évocations. Sans s’y plier. Si figure il y a, il faudrait parler plutôt des figures de la peinture où le trait se noue, où la matière se condense, la couleur se matérialise ou se délite. Il faut aussi remarquer la part délibérément archaïque de la forme chez Ernesto Riveiro (que l’on retrouve dans ses objets et chez certains artistes où il y a aussi cette convocation de formes/masques, je pense en particulier à Sanéjouand).


ernesto_riveiro 2014 . acryl sur toile (Ref.03). 200 × 200 cm.



De la couleur
Il nous faut souligner combien chez Ernesto la couleur est souvent travaillée dans une logique du contre emploi. Ainsi plus qu’une harmonie, il recherche des rapports qui peuvent être des rapports de force. C’est pourquoi il pratique une couleur qui s’insinue dans le regard plus qu’elle ne l’aveugle. Je veux dire par là que pour lui, la couleur vaut autant par sa présence que son écho; que la salissure, la bavure, le délavé et la tache ont pour lui des vertus plus importantes que la brillance colorée; il serait plus proche d’un Bram Van Velde que d’un Matisse, plus du côté de Joan Mitchel que de Sam Francis. Si nous voulions faire une incursion argentine d’où il est originaire, je le verrai bien plus converser avec Luis Felipe Noé ou Jorge La Vega qu’Ernesto Deira. La couleur et la matière d’un Manet lui siéent plus que celle d’un Monet.

Un art du trait
Si j’insiste sur le trait c’est qu’il me semble essentiel comme écriture picturale car il y a par moment dans sa peinture une zone de contiguïté entre le peint et le dessiné, entre pictural et scriptural; Riveiro pratique une écriture de la couleur et du noir et blanc; il marie forme, trait et tache dans des jeux d’associations de tension et de rupture. Cela explique la présence d’éléments à caractères protéiformes (grilles, filets, polyèdres, mais sans la précision géométrique ni la structure en symétrie d’une logique fractale) aux champs de signification pluriels que l’on retrouve aussi dans certains des dessins de son ami Roberto Horacio Elia.

Le paradoxe comme méthode
Ses œuvres sont délibérément composites. On peut à la fois y voir une peinture du flux et de la sédimentation, un mariage étonnant entre l’intempestif de l’intuition et une tectonique lente de la gestation. Ce qui donne de l’éclat à sa peinture en passe chez lui par un art du demi-ton. Un mariage entre Guston et Corot. Un champ de bataille dont on n’entendrait que le bruit sourd au loin. La peinture chez Ernesto Riveiro ne s’affiche pas elle s’impose par la capacité qu’elle a d’absorber notre regard.

Philippe Cyroulnik, mars 2014


ernesto riveiro


Philippe Cyroulnik, 2014
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Fragments pour un portrait inachevé
Philippe Cyroulnik, mars 2014



ernesto_riveiro 2014 . acryl sur toile (Ref.04). 200 × 200 cm.

Formes
La forme chez Ernesto Riveiro n’informe pas, au contraire, elle institue une ambiguïté, une indéfinition qui fait obstacle à la nomination. On pourrait même dire qu’au moment où elle advient, elle ne se fixe pas. Poussée par un mouvement irrépressible, elle n’est que l’ombre d’elle même, un fantôme de forme qui échappe à la saisie de notre regard.

Figure
Ici ou là s’esquisse une figure fragile, instable qui jaillit du lacis des traits mais constamment mise en péril par le dense maillage de lignes colorées qui l’enserre dans ses filets. Nous ne sommes pas dans un espace de représentation mais dans une mêlée qui se déploie sur la surface du tableau sans y creuser d’espace ni de scène. La figure n’incarne pas un personnage; elle reste à un stade pré-figuratif.


Intempestif
Il y a dans ses peintures quelque chose d’une intensité de la couleur et du geste. Et pourtant on a le sentiment d’une certaine retenue, comme si le peintre choisissait de se tenir sur une crête ténue entre incarnation et dissolution

La « geste » de la peinture
A regarder ses tableaux, on ne peut manquer de percevoir une contiguïté entre des qualités quasi antagoniques mais consubstantielles à sa peinture: entre l’opacité rugueuse d’une matière et la transparence qui la mène au bord de l’évanescence; entre le recouvrement et l’effacement, entre la ligne et son négatif. De même, la ligne joue à la fois l’arabesque et l’angulaire; comme une musique qui passerait brutalement de la mélodie à l’atonalité. Nous sommes face à ce qui serait le mouvement du trait comme pensée en acte et en déambulation. Un art qui ferait de ce va-et-vient entre forme et informe, entre paroxysme et sérénité, l’objet même de son propos; considérant à juste titre que c’est de ces temps mêlés de turbulence et de relâchement qu’un visible se constitue.

Figure /Masques
Il faut revenir sur cette question évoquée précédemment. Si je parle de masques c’est qu’en certains lieux du tableau, un ensemble de traits se constitue en forme qui ne se détache pas mais plutôt apparaît dans les mailles du tracé. Masques, parce qu’ils ont à la fois un caractère emblématique, quelque chose de tutélaire tout en n’ayant pas d’autre présence que celle de leur forme; sans renvoyer à l’humain, au végétal ou à l’animal. C’est peut être cela qui leur donne une force telle qu’ils arrêtent le regard et suscitent en nous correspondances et évocations. Sans s’y plier. Si figure il y a, il faudrait parler plutôt des figures de la peinture où le trait se noue, où la matière se condense, la couleur se matérialise ou se délite. Il faut aussi remarquer la part délibérément archaïque de la forme chez Ernesto Riveiro (que l’on retrouve dans ses objets et chez certains artistes où il y a aussi cette convocation de formes/masques, je pense en particulier à Sanéjouand).


ernesto_riveiro 2014 . acryl sur toile (Ref.03). 200 × 200 cm.



De la couleur
Il nous faut souligner combien chez Ernesto la couleur est souvent travaillée dans une logique du contre emploi. Ainsi plus qu’une harmonie, il recherche des rapports qui peuvent être des rapports de force. C’est pourquoi il pratique une couleur qui s’insinue dans le regard plus qu’elle ne l’aveugle. Je veux dire par là que pour lui, la couleur vaut autant par sa présence que son écho; que la salissure, la bavure, le délavé et la tache ont pour lui des vertus plus importantes que la brillance colorée; il serait plus proche d’un Bram Van Velde que d’un Matisse, plus du côté de Joan Mitchel que de Sam Francis. Si nous voulions faire une incursion argentine d’où il est originaire, je le verrai bien plus converser avec Luis Felipe Noé ou Jorge La Vega qu’Ernesto Deira. La couleur et la matière d’un Manet lui siéent plus que celle d’un Monet.

Un art du trait
Si j’insiste sur le trait c’est qu’il me semble essentiel comme écriture picturale car il y a par moment dans sa peinture une zone de contiguïté entre le peint et le dessiné, entre pictural et scriptural; Riveiro pratique une écriture de la couleur et du noir et blanc; il marie forme, trait et tache dans des jeux d’associations de tension et de rupture. Cela explique la présence d’éléments à caractères protéiformes (grilles, filets, polyèdres, mais sans la précision géométrique ni la structure en symétrie d’une logique fractale) aux champs de signification pluriels que l’on retrouve aussi dans certains des dessins de son ami Roberto Horacio Elia.

Le paradoxe comme méthode
Ses œuvres sont délibérément composites. On peut à la fois y voir une peinture du flux et de la sédimentation, un mariage étonnant entre l’intempestif de l’intuition et une tectonique lente de la gestation. Ce qui donne de l’éclat à sa peinture en passe chez lui par un art du demi-ton. Un mariage entre Guston et Corot. Un champ de bataille dont on n’entendrait que le bruit sourd au loin. La peinture chez Ernesto Riveiro ne s’affiche pas elle s’impose par la capacité qu’elle a d’absorber notre regard.

Philippe Cyroulnik, mars 2014